Monde rural

L’agriculture,c’est elles

Premières levées, dernières couchées. Elles sont les forces vives de nos campagnes. À travers le profil de quatre femmes agricultrices ou actrices du secteur agricole bénificiaires du programme Al Moutmir, promenade dans les régions agricoles du Maroc où la réussite s’accorde au féminin pluriel.

C’est dans le décor d’un Maroc rural marocain que l’on dit miné par l’analphabétisme et le patriarcat que prennent pourtant place quatre belles success-stories au féminin. Khadija Bourdoud à Sidi Bennour, Hafida El Filahi à Ben Guérir, Mira Kadour à Rommani, Samira Lamhasni à Kenitra. Quatre parcours de femmes qui sont devenus des réussites, grâce d’abord à leur travail laborieux de la terre ou des fruits de l’agriculture, et aussi un peu grâce à un petit coup de pouce, à un moment donné, d’un acteur-clé du secteur, OCP. Toutes ont été impactées par le programme “Al moutmir li khadamat al qorb”, un programme agile et intégré centré sur le fellah comme réel agent du changement. Plus de 40 agronomes sont ainsi déployés de manière permanente dans différentes provinces et travaillent quotidiennement avec les agricultrices et agriculteurs, leur assurant formations, démonstrations, suivi et accompagnement. En héroïnes, ses bénéficiaires nous racontent leur histoire et témoignent d’une volonté mainte fois ébranlée, mais toujours intacte. Nous sommes dans les environs de Sidi Bennour. Lorsque nous la rencontrons, un mardi, en début d’après-midi, Khadija Bourdoud est déjà dans les champs depuis plusieurs heures, depuis l’aurore. Agricultrice depuis des décennies, elle exploite sept hectares de terre. Elle loue un hectare à l’État depuis 1981, mais elle est également propriétaire d’une parcelle. Le reste est la propriété d’autres membres de la fratrie, mais, peu intéressés par l’agriculture, ils lui permettent d’exploiter ces terres. “Nous produisons surtout de la luzerne, du maïs, et de l’avoine. Mais les temps sont durs à cause du manque d’eau. Heureusement que les gens de l’OCP nous ont beaucoup aidés,” nous explique-t-elle. Dans le cadre du programme Al Moutmir, Khadija Bourdou a en fait bénéficié de la distribution de plusieurs sacs d’engrais, destinés en priorité aux femmes agricultrices. Une aide régulière dispensée depuis près de deux ans dans la région.

Ladies

Innovation First

“Grâce à l’engrais que l’on a reçu, la production a augmenté, nous constatons la différence”, souligne Khadija Bourdoud avec émotion. “Nous avons apprécié ce soutien, non seulement au niveau de la fourniture des engrais, mais également parce qu’il participe à l’émancipation de la femme rurale, qui est le plus souvent marginalisée. À chaque manifestation ou festival agricole, ce sont les femmes qui sont invitées en priorité par les sponsors,” ajoute-t-elle, décrivant le “machisme” du milieu dans lequel elle évolue. Une concurrence masculine qu’elle éprouve plus particulièrement dans une autre de ses activités : l’élevage. En 2011, elle a effectivement rajouté une corde à son arc en faisant l’acquisition d’un petit cheptel d’une quinzaine de têtes de bovins. Pour s’en occuper, en plus de l’exploitation de la terre, la nièce de Khadija Bourdoud lui prête main-forte, et elle a intégré une coopérative exclusivement dédiée à la viande rouge. “Oui, nous avons besoin d’être encadrées, de bénéficier de formations, pour nous permettre de nous épanouir dans ce que l’on fait.

Notre travail est très usant, mais il est surtout complémentaire avec celui fourni par les hommes,” explique-t-elle, sans une once de rancune dans la voix. Nous ne sommes autorisés à prendre congé qu’après avoir promis de revenir dès que l’occasion se présentera. Nous promettons, mais déjà nous changeons de région et prenons la direction des environs de Ben Guerir, où Hafida El Filahi a bien voulu nous consacrer une partie de son emploi du temps, chargé à en faire pâlir un ministre. Secrétaire générale de la Coopérative de production de couscous de la région de Rhamna, Hafida El Filahi est aussi militante. Nous l’interrompons dans son travail, pour qu’elle nous présente son exploitation de 1000 m²

Veuve depuis quelques mois, elle est toute de blanc vêtue, conformément à la tradition. Après la mort de son mari, des femmes du douar sont venues spontanément en renfort, par solidarité, mais peut-être aussi en remerciement pour celle qui préside aux destinées de la Coopérative depuis 2008. Son objectif ? Valoriser les produits du terroir du douar. La coopérative fait travailler vingt femmes à temps complet, ainsi que quelques “freelances” dans les fortes périodes de production. “Nous produisons jusqu’à 32 espèces différentes de légumineuses (lentilles, fèves, pois chiches…) ainsi que plusieurs variétés de couscous, essentiellement bio. Sans oublier le quinoa, qui connaît un réel engouement ces derniers temps,” explique Hafida El Filahi dont nous croyons déceler de la fierté dans la voix. “Tout ceci n’aurait pas été possible sans l’aide de l’OCP,” ajoute-t-elle.

From Ben Guérir

Innovation to the World

Dans le cadre du programme Al Moutmir, Hafida El Filahi a en effet bénéficié, avec les autres membres de la coopérative, de quelques jours de formation et de conseils agricoles dispensés par des agronomes. “Nous avons aussi à plusieurs reprises été pris intégralement en charge lors d’événements régionaux tels que des foires agricoles ou des festivals ayant trait à l’agriculture,” détaille-t-elle pour levolet commercial de son activité. “Par ailleurs, lors du 8 mars, nous avons été invitées avec d’autres femmes rurales à visiter le siège de l’OCP à Casablanca.

Les salariés nous ont acheté tout le stock de produits que nous avions apportés ce jour-là,” sourit-elle. Mais depuis Ben Guérir, les produits de Hafida El Filahi, vont bien plus loin que Casablanca. À Berlin, lors de la Green Week, et à Paris lors du Salon de l’Agriculture, Hafida El Filahi et son couscous en ont fait des kilomètres. La voilà d’ailleurs qui reprend la route pour la suite de sa folle journée. Un petit geste de la main, et sa voiture disparait dans un nuage de poussière.

“IL FAUT SE FAIRE RESPECTER, ET DÈS LORS LES GENS VOUS RESPECTENT”

Quant à nous, notre route nous conduit cette fois à croiser celle de Mira Kadour, entre les communes de Merchouch et de Rommani. Avant de s’installer comme agricultrice en pleine région des Zaërs, le grenier à blé du Maroc, Mira Kadour a arpenté les couloirs du ministère des Affaires étrangères en tant que conseillère ministérielle. Son exploitation s’étend sur une superficie de 110 hectares. Six ouvriers y travaillent en permanence, épaulés par une cinquantaine de saisonniers au besoin lors des récoltes. La production est essentiellement composée de céréales et de légumineuses, et autres semences sélectionnées pour la SONACOS. Une éventuelle désapprobation des agriculteurs hommes lors de son installation dans la région ? Ça n’est pas un sujet pour elle. “Il faut se faire respecter, et dès lors les gens vous respectent”, rétorque-t-elle. Elle est beaucoup plus enthousiaste lorsqu’elle nous raconte les effets d’un programme de soutien Al Moutmir sur son exploitation. “Les agronomes sont venus nous voir à Rommani. C’est la première fois de ma vie que je constateunetelle organisation, des gens autant à l’écoute, des jeunes aussi motivés et qualifiés,” se souvient-elle. Les agronomes se sont employés à prodiguer des conseils agricoles tous azimuts, de l’utilisation des engrais à l’analyse de sol. “Ils m’ont consacré deux heures rien qu’à moi”, n’en revient toujours pas Mira Kadour. Les ouvriers de l’exploitation qui ont passé près d’une semaine avec l’équipe de spécialistes de l’OCP n’ont désormais qu’un souhait : les revoir au moins deux fois, pour un approfondissement.

Garder

Aujourd'hui la banane

Cap plus au nord à présent, vers Kénitra, pour y rencontrer Samira Lamhasni. Avec elle, nous découvrons un autre volet du secteur agricole. La société qu’elle dirige, Nalsya, est spécialisée depuis 1996 dans la distribution de produits agricoles : engrais, produits phytosanitaires, tuyaux d’irrigation et autres matériels. Elle a commencé sa carrière derrière le comptoir de son magasin, de 8 heures du matin à 8 heures du soir. Quasiment depuis ses débuts, elle distribue du “MAP” - du phosphate monoammonique, un engrais rapidement soluble dans l’eau pour apporter de l’azote et du phosphore aux plants - qu’elle vend sous une marque et un packaging “Nalsya”. Son objectif principal a toujours été de “conseiller, de rendre service, plutôt qu’être dans la vente pure et dure”, n o u s ex p l i q u e S a m i ra Lamhasni. C’est dans cette optique qu’elle a créé la Fondation Nalsya, dont le but est de promouvoir les activités liées au développement rural de la région avec un focus sur la question des femmes en milieu rural, le travail associatif, la protection de l’environnement, les nouvelles techniques agricoles ou encore le conseil agricole. La fondation a également organisé dans la région le Festival de la Fraise qui en est à sa neuvième édition ainsi que le Festival de la Banane (2ème édition). La société Nalsya importe en effet des plants de bananes dont elle encourage la culture, ainsi que celle de l’avocat, qui se développe dans la région. “Dans mon parcours, j’ai énormément souffert de la discrimination à cause de ma condition de femme, et ce même de la part de mes clients agriculteurs qui auraient préféré ne pas m’avoir comme interlocutrice,” reprend Samira Lamhasni, qui a bien du se résoudre à s’entourer de son mari et de son frère. Mais elle ne lâche rien, et continue de prodiguer ses conseils aux agricultrices dans la région, en les incitant à ne pas renoncer à l’éducation de leurs enfants. “Même si un de vos enf a n t s d o i t p l u s t a r d abandonner ses études en cours de route, cela vaudrait toujours mieux qu’un agriculteur ignorant et analphabète,” a-t-elle coutume de répéter à ses interlocutrices. “Je ne les pousse pas à la révolte contre leurs maris, mais au moins à obtenir la considération qui leur est due,” nous explique Samira Lamhasni. Et d’en remettre une dernière petite couche pour la route, non sans ironie: “La femme rurale fait tout. L’homme moins. C’est dommage, parce que la région du Gharb est idéale pour l’agriculture. Les terres y sont fertiles et les nappes phréatiques à faible profondeur”. Messieurs, prenez-en de la graine.

SYMPHOS 2017 en chiffres

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